Burn-out et l’entreprise. Maladie professionnelle ?

Dernière modification le 6 avril 2023

Le burn out sera-t-il reconnu comme maladie professionnelle ? L’entreprise au cœur de la question.

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Le syndrome d’épuisement au travail pourrait devenir la 99ᵉ maladie professionnelle, après la sciatique.
Craig Garner/Unsplash

Tarik Chakor, Université Savoie Mont Blanc et Claire Edey Gamassou, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

On pourrait voir le burn out reconnu, un jour, comme maladie professionnelle. Et donc, des salariés indemnisés pour ce motif. La proposition est en tout cas sur la table, à l’initiative d’un groupe de députés qui a planché neuf mois durant sur « l’épuisement professionnel » – l’autre nom du burn-out. Si leur recommandation aboutissait, ce syndrome deviendrait officiellement la 99e maladie professionnelle en France. Après la sciatique.

Émanation de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, la mission d’information a auditionné des victimes, des acteurs de la prévention et des chercheurs. Elle a rendu son rapport le 15 février avec un titre explicite : « L’épuisement professionnel ou burn-out, une réalité en manque de reconnaissance ».

Les troubles psychiques en lien avec le travail occupent pourtant une place croissante dans le débat public. Signe fort, l’édition 2017 des Semaines d’information sur la santé mentale (SISM), événement national débutant le 13 mars, leur est consacrée. Ces problèmes ne sont plus systématiquement déniés par les entreprises, ni mis trop vite sur le compte de fragilités individuelles. La notion de burn-out connaît également un certain succès médiatique comme, avant elle, celle de harcèlement moral.

Une pathologie de l’engagement

Dans l’esprit de la mission d’information, le burn-out est défini de façon large par « l’ensemble des troubles psychiques que subissent les travailleurs confrontés à un environnement professionnel délétère ». De son côté, l’organisme public de référence sur la santé et la sécurité au travail, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’appréhende plus spécifiquement comme « l’ensemble des réactions consécutives à des situations de stress au travail chroniques, dans lesquelles la dimension de l’engagement est importante », le burn-out touchant le plus souvent des individus dévoués à leur travail.

Ce syndrome est généralement caractérisé, dans la continuité des travaux de la professeure de psychologie américaine Christina Maslach, par la présence de trois signes : l’épuisement ou assèchement émotionnel ; la dépersonnalisation ou déshumanisation, qui renvoie à une posture de détachement par rapport aux personnes pour qui et avec qui on travaille ; le sentiment de non-accomplissement personnel au travail ou la perte du sentiment d’accomplissement.

L’augmentation des cas de burn-out est souvent mise en relation avec les bouleversements économiques et l’apparition de nouvelles méthodes de travail, plus intenses et contraignantes. Utilisé dès les années 1970 à propos des métiers de l’aide et des soins, le burn-out s’applique aujourd’hui à toutes les professions.

Textes de loi, pétition, appels

Le législateur a pris en compte cette réalité au cours des quinze dernières années, avec la loi de modernisation sociale de 2002, l’arrêt de la Cour de cassation de 2013 puis la loi relative au dialogue social et à l’emploi de 2015. En 2008, l’Accord national interprofessionnel sur le stress, transposition en droit français de l’accord européen de 2004, avait reconnu la responsabilité possible de l’employeur dans les maux d’ordre psychologique. Fin 2014, c’est une pétition pour la reconnaissance du burn-out qui a été lancée par un cabinet de conseil, Technologia. Initiative suivie d’appels allant dans le même sens, l’un de médecins du travail et l’autre d’une trentaine de parlementaires.

Depuis, le décret du 7 juin 2016 est venu faciliter la reconnaissance d’une affection psychique en maladie professionnelle grâce au renforcement de l’expertise médicale. Il rend en effet possible le recours à un médecin psychiatre à tous les stades du processus, et simplifie aussi la procédure d’instruction.

En dépit des avancées juridiques, le syndrome d’épuisement professionnel continue à susciter beaucoup d’interrogations chez les chercheurs. L’engrenage qui mène à cet état ne fait pas consensus, malgré l’existence de très nombreux travaux sur le sujet, en particulier en psychologie. En effet, les enjeux liés au travail sont déjà complexes à l’échelle de l’individu. À l’échelle de l’organisation, ensuite, de multiples facteurs peuvent entrer en ligne de compte, comme la surcharge de travail, la pression sur les délais, les faibles marges de manœuvre, le manque de reconnaissance ou le manque d’équité.

En cause, le management de l’entreprise, la conjoncture économique…

Dans le harcèlement moral, reconnu depuis la loi de modernisation sociale de 2002, ce sont des « agissements répétés », et donc les auteurs de ces agissements, qui sont montrés du doigt. Pour l’épuisement professionnel, la responsabilité peut tenir à plusieurs sources qui se combinent : l’organisation du travail, le management de l’entreprise, la conjoncture économique, les relations interpersonnelles, voire personnelles.

Les incertitudes concernant l’origine d’un burn-out peuvent compliquer sa reconnaissance comme maladie professionnelle. En effet, le système tel qu’il existe pour d’autres pathologies se fonde essentiellement sur des relations de cause à effet. Une maladie est considérée comme professionnelle si elle est la conséquence directe de l’exposition, plus ou moins prolongée, d’un travailleur à un risque – le plus souvent physique, chimique ou biologique – ou si elle résulte des conditions dans lesquelles celui-ci a exercé son activité professionnelle. Elle doit également figurer parmi les 98 « tableaux » du régime général de la Sécurité sociale ou les 59 du régime agricole. Ces « tableaux » constituant la liste officielle consultée par les médecins pour recommander à un patient de formuler, ou non, une demande de reconnaissance.

Ces tableaux détaillent la nuisance prise en compte, les maladies ou symptômes liés à cette nuisance et le type de tâches exposant l’individu à celle-ci. Ainsi la manipulation de charges lourdes entraînant une sciatique chez un déménageur lui donne droit automatiquement à une reconnaissance en maladie professionnelle. Quand un salarié présente une pathologie, la Caisse d’assurance maladie dont dépend le salarié examine si les conditions édictées dans le « tableau » correspondant sont respectées. Si toutes les cases sont cochées, sa pathologie est présumée d’origine professionnelle et imputable à l’employeur. Dans le cas contraire, il peut se tourner vers le système complémentaire de reconnaissance, une procédure généralement plus complexe et plus longue, car nécessitant l’avis motivé d’un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

Pas de nouvelle maladie reconnue depuis 2012

Ces tableaux sont mis à jour en fonction de l’état d’avancement des connaissances médicales. Mais la reconnaissance d’une nouvelle maladie est un fait rare, la dernière remontant à 1999 pour le régime général, et à 2012 pour le régime agricole – un cancer du sang causé par les pesticides.

Pour l’instant, seules quatre pathologies psychiques ouvrent droit à une reconnaissance, hors « tableau », au titre du système complémentaire via les CRRMP. Il s’agit des états de stress post-traumatique, des troubles dépressifs, des troubles anxieux, et des troubles de l’adaptation. 1 221 demandes ont été déposées dans ce cadre en 2015, contre seulement 551 saisines de 2003 à 2009.

Si l’épuisement professionnel ne figure pour l’instant ni dans les « tableaux » ni dans le système complémentaire, il existe cependant un recours possible pour obtenir une reconnaissance de son cas, via l’examen par l’un des CRRMP. Mais les critères, là, sont drastiques. Le salarié demandeur doit notamment prouver que son burn-out entraîne un niveau de 25 % au moins d’incapacité permanente, c’est-à-dire une situation où il serait « stabilisé dans la gravité ». Peu de dossiers, quelques dizaines par an, passent cette barre, placée très haut. La mission d’information parlementaire a d’ailleurs suggéré, parmi ses propositions, d’abaisser le seuil à 10 %, voire de le supprimer.

Une solution mauvaise sur le plan juridique

D’autres voix se font entendre qui s’opposent à l’inscription du burn-out comme 99e maladie professionnelle – synonyme de sa reconnaissance à plus grande échelle. Dans son étude publiée en février 2016 dans La Semaine Juridique, Marlie Michaelletz, avocate et enseignante à l’université Panthéon-Assas, estime cette solution mauvaise sur le plan juridique. Cette reconnaissance « risquerait de porter atteinte à l’objectif général de prévention des risques professionnels », estime-t-elle en citant le précédent de l’amiante. L’exposition à cette substance cancérigène a été reconnue comme maladie professionnelle dès 1945, sans que cela entraîne de politique préventive effective.

Par ailleurs, cette inscription aurait des conséquences budgétaires. Le burn-out entraîne actuellement des arrêts maladie classiques, pris en charge par la caisse générale de l’assurance-maladie. Les cas reconnus en maladie professionnelle sont indemnisés, eux, par la branche « accidents du travail – maladie professionnelle », financée à 97 % par les cotisations des employeurs. Ce transfert serait donc source d’un accroissement du coût du travail.

Toutefois, les cotisations de l’entreprise diminuent dès lors qu’elle obtient de bons « résultats » en matière de santé et sécurité au travail. L’inscription du burn-out comme maladie professionnelle pourrait donc inciter les entreprises à agir davantage en amont. Bien menée, la prévention permettrait d’éviter des dommages sur le plan humain et peut aussi se traduire par un bénéfice financier. Des calculs réalisés en 2015 dans le secteur du bâtiment montrent que 1 euro investi dans la prévention des risques professionnels se traduit par un gain final de 2,34 euros.

La reconnaissance du burn-out pose opportunément la question de la réparation des maux causés par le travail. Mais cette option, si elle devait être retenue, ne devrait être qu’une étape vers une prévention globale des risques. Seul le développement d’une culture de prévention plus large, telle que préconisée par le troisième plan santé travail, pour 2016-2020, permettra d’améliorer les conditions de travail et d’éviter aux salariés de connaître l’épuisement.

Tarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Savoie Mont Blanc et Claire Edey Gamassou, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Retrouvez l’article sur les valeurs de l’entreprise.

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