Dernière modification le 9 février 2023
Une solution pour améliorer le bien-être des ados?
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Accès gratuit au psychologue, une arme contre le mal-être des ados
Arnaud Carre, Université Savoie Mont Blanc et Yannick Morvan, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Le président de la République, François Hollande, a lancé officiellement le 29 novembre le plan « Bien-être et santé des jeunes ». Avec l’objectif que les enfants et les adolescents, entre 6 et 21 ans, puissent se trouver bien dans leur corps, mais surtout dans leur tête.
Un des messages fondamentaux en santé publique, relayé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans ses différents plans d’action, est : « Pas de santé sans santé mentale », pour reprendre les mots du professeur britannique d’épidémiologie psychiatrique Martin Prince, de l’Institut de psychiatrie de Londres. À travers ce plan, le gouvernement semble bien aller dans ce sens, en annonçant une mesure phare : la gratuité des consultations chez les psychologues pour les jeunes, sur prescription d’un médecin, avec le « Pass santé jeunes ».
Il y a un mois déjà, le gouvernement avait ouvert la discussion sur le remboursement des consultations des adolescents chez les psychologues en libéral. En effet, seules les consultations en institution, c’est-à-dire en centre hospitalier, en Centre d’action médico-sociale précoce (CAMPS), en Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) ou bien encore en Centre médico-psychologique (CMP), sont actuellement prises en charge. L’accès aux psychologues dans des cabinets de ville reste à la charge des individus ou de leurs familles.
Des listes d’attentes pour consulter
Cette situation génère des inégalités dans un contexte où ces institutions sont saturées, tant par des listes d’attente importantes que par le manque de professionnels en leur sein. La professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Marie-Rose Moro, responsable de la Maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris et co-auteure du rapport d’une mission présidentielle sur la jeunesse, le déplorait dans une interview récente : « le manque de professionnels est dramatique. […] Les psychiatres ne peuvent pas prendre en charge dans un délai raisonnable tous les jeunes en souffrance ».
Le gouvernement avait annoncé dès la fin septembre son projet de rembourser les consultations chez des psychologues libéraux pour mieux combattre la souffrance psychologique des jeunes, comme le Syndicat national des psychologues (SNP) s’en était fait l’écho. Pour le mener à bien, il a été proposé de financer une phase d’expérimentation par les Agences régionales de santé (ARS). Cette proposition, discutée par l’Assemblée nationale, a donné lieu à l’inscription de cette expérimentation dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, voté en première lecture le 2 novembre.
Levée de boucliers des syndicats de médecins
L’annonce de ce dispositif a provoqué une levée de boucliers de la part des représentants des médecins ; le Syndicat des médecins libéraux (SML) redoutant que « la santé de nos enfants soit bradée pour des considérations financières » ; le Syndicat des psychiatres français s’inquiétant pour sa part de « l’erreur diagnostique » qui pourrait émaner des psychologues.
Les psychologues ont été heurtés par ces réactions et par les inexactitudes du SML, présentant leur niveau de qualification à quatre ans d’études après le baccalauréat (Bac+4), s’agissant pourtant d’un niveau Bac+5 sur sélection depuis de nombreuses années. Par la voie d’un de leurs syndicats, le SNP, ils ont tenu à rappeler que leur compétence est reconnue dans les démarches d’évaluation et d’expertise auprès des tribunaux, et que le « diagnostic psychologique », distinct d’un « diagnostic médical », permet si nécessaire d’orienter la personne vers un psychiatre.
Au-delà des craintes, voire des polémiques, il apparaît utile de revenir sur la réalité des faits. Pour l’heure, il ne s’agit pas de généraliser le remboursement des psychologues pour tous et dans tout le pays. La mesure actuelle renvoie à un dispositif expérimental. Il s’agit de réaliser une étude en santé publique qui concerne les jeunes de 6 à 21 ans nécessitant une prise en charge d’ordre psychosociale, sans médicaments. Elle concerne des jeunes présentant des symptômes qui ne sont pas évocateurs d’une pathologie mentale considérée comme lourde.
Dix séances pour les jeunes, deux pour les parents
Les patients visés par cette expérimentation vont être amenés à rencontrer des psychologues dûment inscrits au registre national des psychothérapeutes. Un forfait de dix séances est prévu pour ces jeunes, ainsi que deux séances pour leurs parents (ou autres tuteurs légaux).
Ce dispositif est envisagé dans trois régions pour lesquelles les besoins sont plus marqués : l’Île-de-France, les Pays de la Loire et le Grand-Est, à travers les académies de Versailles, de Nantes et de Nancy-Metz. Il a pour objectif de mesurer l’effet d’une activité plus soutenue des psychologues contre la détresse et les sentiments de mal-être des jeunes ou l’inadaptation (tant personnelle que scolaire, pouvant inclure les décrochages), dans le but d’éviter que les troubles ne s’aggravent. Cette expérimentation a été votée pour une durée maximale de quatre ans. Selon le projet de Loi, à l’issue de cette période, l’État dressera le bilan de l’efficacité de la mesure, avec semble-t-il une méthodologie empirique fondée sur la preuve, qui sera appliquée par une équipe de recherche.
Dans son allocution du 29 novembre, le président de la République a souligné que le dispositif, sous l’appellation « Pass santé jeune », allait être opérationnel dès début 2017 grâce à son inscription dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale. La prise en charge des jeunes se déroulera après une première évaluation effectuée par un médecin (généraliste, scolaire, ou encore un pédiatre), en coordination avec les Maisons des adolescents, dont le rôle va être renforcé.
Une réorientation en cas de troubles sévères
Ces principes offrent la garantie, pour tous les jeunes approchés, d’une démarche diagnostique médicale. Ceux présentant un risque suicidaire, des troubles psychiatriques sévères et des manifestations psychotiques (évocatrices par exemple d’une schizophrénie émergente) ne seront pas inclus dans le dispositif, mais réorientés vers des soins spécialisés. Le ministère de la Santé a quant à lui indiqué à la commission des affaires sociales que l’identification de la souffrance chez les jeunes répondrait aux recommandations en vigueur, notamment de la Haute Autorité de Santé (HAS) et de Santé Publique France.
Pourquoi proposer de renforcer le soutien psychologique pour les jeunes ? Le vécu de stress répété, d’expériences de rejet, le développement de pensées anxieuses ou dépressives, le manque de soutien social, ainsi que la consommation de toxiques – autant d’expériences qualifiées de « menaçantes » par les chercheurs en psychologie – peuvent impacter le développement cérébral et le développement psychologique des individus. Ainsi, la détresse précoce a été reliée au développement de comportements à risques, de maladies chroniques et à des décès prématurés. Elle peut engendrer des devenirs problématiques chez l’adulte comme la dépression, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’obésité, les addictions et conduire à de moins bons potentiels de vie, en matière d’éducation et de travail. De ce fait, la prise en charge des expériences « menaçantes » constitue un enjeu majeur des politiques de santé publique.
Le défi, pour le futur dispositif, sera de surmonter la difficulté à distinguer d’une part les signes révélateurs de troubles passagers ou de stratégies d’adaptation peu efficientes, et d’autre part les symptômes caractéristiques de l’entrée dans une véritable atteinte de la santé mentale, comme montré par différents travaux et études.
Des soins trop tardifs
À travers ces réflexions et ces actions, l’enjeu est de se garder aussi bien de trop soigner, que de ne pas soigner assez. D’éviter la surmédicalisation, ou l’inverse, l’omission de soins, ou des soins trop tardifs. Certains scientifiques et cliniciens, comme l’ancien directeur de l’autorité américaine de santé publique – le NIMH – Thomas Insel, considèrent que l’on prend parfois en charge les troubles mentaux comme si l’on attendait que les manifestations les plus graves émergent. L’équivalent dans le domaine des maladies physiques serait, selon lui, d’attendre l’infarctus pour traiter l’arythmie cardiaque…
En somme, ce dispositif expérimental, (dorénavant inscrit dans l’article 40 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017), représente un outil épidémiologique et thérapeutique considérable pour mener une politique de santé publique moderne et rigoureuse. Il invite à poursuivre la définition d’un réseau de santé reposant sur plusieurs piliers qui sont d’ordre médical, psychologique, paramédical ou bien encore éducatif. Nul doute qu’à terme les formations des professionnels de santé (dont les psychologues font partie) devront être repensées autour de dispositifs de santé publique décloisonnés et pluridisciplinaires. La bonne collaboration entre psychologues et médecins doit à l’évidence en être le pivot.
Arnaud Carre, Maître de conférences – Psychologue, Université Savoie Mont Blanc et Yannick Morvan, Maître de conférences en psychologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.