Dernière modification le 9 février 2023
Senior moments
Oups, où ai-je mis mon opus !
Il y a peu, j’ai tenté de retrouver dans ma (grande) bibliothèque une lecture, un opuscule, qui m’était revenu en mémoire par je ne sais par quel processus intellectuel, mais qui, tout soudain, me semblait avoir acquis un sentiment d’urgence, suscité par le souvenir que j’ avais eu en le lisant, mêlant plaisir et esprit, style et humour.
Ces sentiments mijotèrent dans mon esprit confus avant que je me concentre – VRAIMENT. Que je resitue le moment, l’ambiance, les sentiments ressentis, jusqu’à revoir les mots se bousculer, les citations réapparaître tels des mantras ou des formules kabbalistiques. Quel étrange processus, je venais de vivre.
C’est l’effet empathique de la Lecture bien sûr
Elle qui combine dans tous ces processus, les modes opératoires de nos mémoires, qui allie les aspects mnémotechniques et les affects émotionnels induits que l’on oublie trop souvent.
Ainsi, en zappant parfois nos lectures, nos connaissances, ce joyeux fourre-tout que l’on appelle culture générale, et en tentant de nous les remémorer, nous réinvestissons plus que le simple contenu initial, nous recréons souvent l’enchantement qui a concouru à ce moment de plaisir là, son « sense of wonder » !
Senior Moments, vrai-faux syndrome (quoique)
Et justement, le livre que je cherchais tel Harpagon sa cassette, aborde alchimiquement ce mélange réussi de lecture et de souvenir, de nostalgie et d’oubli, de plaisir et de mémoire. Ce livre c’est « Senior Moments » de Shelley Klein et Geoff Tibbals paru en 2010 chez Payot éditeur.
Si vous ne faites pas la différence entre la Wifi et la Hifi, un Blackberry et un Burberry, un PDF et le PCF, si vous êtes saisi soudain par un darwinisme inquiet face à toutes sortes d’espèces en voix de disparition …ce livre est fait pour vous ! « Senior Moments » est un GRAND bol de bonne humeur (tendance gloussements compulsifs) qui vous réconcilie avec la modernité (hum) du web 2.0, le virage numérique o-bli-ga-toi-re et la conversion digitale nécessaire – ou pas !
Troubles mémoriels et poésie
Apparus vers la fin des années 90 en Angleterre et aux Etats-Unis, ces termes ciblent de prime abord certains troubles de mémoire et d’attention des « seniors » . Plus poétiquement, ce sont aussi ces virgules d’absence, ces parenthèses de suspension où on cherche, en vrac, stylos, clés, sac, lunettes, mots de passes et logins, parapluie. A mettre un nom sur un visage ou une voix, le titre d’un livre, d’un film ou d’une chanson ; ces » trous d’air » qui (inutilement) génèrent angoisse et stress.
Foin des convenances et loin de la phobie d’un Alzheimer suspendu en épée de Damoclès, ce livre vous amènera sans coup férir vers cet état bienveillant qu’est l’autodérision heureuse ET littéraire. Cicéron, Wilde, en passant par Voltaire et George Bernard Shaw, c’est un compendium d’aphorismes et de bons mots, que nous distille Senior Moments ! En nous remémorant avec esprit que, certes, nous vieillirons et que, diable ! , ce n’est pas forcément la fin. A nous d’en faire une comédie plutôt qu’un drame !
Mémoire, neuromythes etc…
Car la mémoire est plurielle, complexe. Elle est l’archétype de la plasticité cérébrale. Nous la sollicitons instinctivement lors de nos phases d’apprentissage dès notre plus jeune âge et elle est toujours disponible et sollicitable tout au long de la vie.
Il y a trois types de mémoire : sensorielle (moins d’une seconde, celle de nos sens), de travail (à court terme, de quelques secondes à quelques minutes), à long terme (se comptent en années et à la capacité infinie). Et on fait appel à un croisement de ces trois types là lors de la lecture, quand on apprend aussi. Faire appel à des aller-retours entre ces mémoires crée des souvenirs, des connaissances. Sinon le cerveau efface, en permanence.
Et malgré les neuromythes entretenus ad nauseam, la mémoire, comme le cerveau, n’est pas :
- sexuée (cerveau féminin ou masculin),
- « géo-anatomique » (cerveau droit ou gauche),
- fixée avant 6 ans, (d’après le fameux livre tout se joue avant 6 ans de Fitzhugh Dodson)
- sousexploitée (nous n’utiliserions que 10% de nos capacités; citation faussement attribuée à Einstein),
- modélisable et réductible comme dans le modèle Herrmann à quatre modes de pensée (pensées analytique, séquentielle, interpersonnel, imaginatif ; doxa un temps des RHs et du management).
Love can do
Les progrès en neurosciences, en sciences cognitives et leurs applications récentes dans l’enseignement humain et machine sont un rappel de l’avancée rapide de ces recherches. Idriss Aberkane, scientifique et vulgarisateur, rappelle dans ses ouvrages et ses conférences, le pouvoir fascinant qui sous-tend nos capacités cérébrales et le caractère presque inépuisable de la connaissance. Il en a fait le fil rouge de sa réflexion sur la mutation en cours : l’économie de la connaissance.
Il y a donc DES mémoires et des techniques qui les sollicitent : spatiale (celle que l’on utilise pour retrouver ses clés ; essayer c’est irritant, épuisant, mais ça marche), visuelle (ou photographique), émotionnelle (des souvenirs forts qui font resurgir des détails oubliés ; cela est particulièrement émouvant avec des êtres chers disparus), sémantique (où les mots par sérendipité entraînent un processus d’exhumation d’une connaissance pointue…méconnue) . Là encore Idriss Aberkane parle d’un pouvoir du savoir et du concept de « love can do » où « Ce n’est pas le travail qui crée la valeur, c’est la passion ».
Encore une fois, qu’importe le flacon pourvu que l’on ait livresque.
Quelques pistes et références :
Shelley KLEIN et Geoff TIBBALLS, Senior Moments, Payot, 2010
Idriss Aberkane, Libérez votre cerveau ! , Robert Laffont, 2016
Economie de la connaissance, Fondapol, Fondation pour l’innovation politique, 2015
En conférence vidéo
Apprendre autrement, in L’avenir, c’est demain ! 27 propositions pour 2035, collectif avec Alexandre Adler, Vladimir Fedorowski et alii, Préface de Laurent Joffrin, Autrement/CERA, (Centre d’échanges et de réflexion pour l’avenir), 2016
Eric Gaspar, incroyable cerveau ! ; Robert Laffont, 2017
Une conférence d’Eric Gaspar professeur de lycée, en podcast sur France Culture aborde les meilleures façons pour faire fonctionner notre cerveau et mémoriser en profondeur, à appliquer dans l’éducation, l’école et la formation, et la vie de tous les jours ! Produite en 2017 par le labo des savoirs avec Pascale Gisquet-Verrier, neurobiologiste de l’Institut de neuroscience, Université Paris-Saclay.
Eric Gaspar est aussi créateur de Neurosup.