Mémoire: et si on essayait l’art?

Dernière modification le 8 octobre 2024

Lutter contre Alzheimer grâce aux activités artistiques

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Chorale à Longmont, aux Etats-Unis. Pratiquer une activité artistique permet de retarder le vieillissement cérébral.
Sam Cox/Flickr, CC BY-NC

Martial Van der Linden, Université de Genève et Anne-Claude Juillerat Van der Linden, Université de Genève

Il n’existe pas, aujourd’hui, de médicament efficace dans la maladie d’Alzheimer. Ceux dont la médecine dispose font plus de mal que de bien, une affirmation qui n’est plus discutée en France depuis l’avis rendu l’automne dernier par la Haute autorité de santé. La communauté scientifique espère trouver de nouveaux traitements mais d’ici là, que proposer aux personnes qui donnent des signes de vieillissement cérébral ?

Car oui, notre cerveau vieillit, comme les autres organes. Et ce n’est pas forcément un drame, ni une fatalité. Il existe des moyens trop souvent négligés de lutter contre le déclin cognitif : les activités artistiques, les loisirs mais aussi l’engagement dans la société. Les assises de la recherche et de l’innovation sociale pour relever le défi du vieillissement cognitif, qui se tiennent le 7 mars à Paris à l’initiative de la fondation Médéric Alzheimer, explorent précisément de telles pistes.

Le mot effrayant de « maladies démentielles »

L’approche biomédicale du vieillissement qui domine aujourd’hui interprète les difficultés de mémoire, d’attention ou de langage – dites « cognitives » – comme la conséquence de pathologies spécifiques. On les appelle souvent « maladies d’Alzheimer et apparentées » ou, plus effrayant, « maladies démentielles ». Elles auraient une cause neurobiologique précise, contre laquelle il faudrait chercher un traitement pharmacologique, à appliquer le plus précocement possible.

Cette manière d’aborder la question suscite l’attente désespérée, chez les individus concernés, leurs proches, et dans la société tout entière, d’un traitement médicamenteux ou biologique miraculeux. Elle renvoie à l’arrière-plan l’ensemble des démarches susceptibles d’optimiser le bien-être et la qualité de vie des personnes âgées. Or un nombre croissant d’études montrent l’efficacité de la pratique artistique et de l’accès à l’art dans la lutte contre le déclin cognitif. Au point que les médecins devraient depuis longtemps prescrire ce « remède » sur leurs ordonnances…

La vision actuelle du vieillissement cérébral, réductrice, contribue à la pathologiser. Le phénomène est perçu en termes de fardeau, de crise, tant au niveau social qu’économique. De plus, elle applique aux personnes âgées présentant des troubles cognitifs des étiquettes stigmatisantes, associées à des images apocalyptiques. Il suffit à chacun, pour le mesurer, de se demander un instant ce que lui évoque le mot « démence », utilisé couramment pour désigner les troubles…

Les échecs de l’approche biomédicale du vieillissement de notre cerveau

Face aux limites et échecs répétés de cette approche biomédicale, des chercheurs et cliniciens défendent une autre conception de la manière dont notre cerveau prend de l’âge. Celle-ci prend en compte la multiplicité des facteurs sociaux, culturels, environnementaux ou en lien avec le style de vie qui influent sur le devenir de cet organe, ainsi que les mécanismes biologiques, médicaux, psychologiques qui agissent.

Il ne s’agit en aucun cas de nier l’existence de problèmes cognitifs et fonctionnels pouvant affecter de manière importante la vie de certaines personnes âgées. Dans les cas sévères, ils sont source de handicaps majeurs. Simplement, nous proposons d’en assumer pleinement la complexité et les nuances, sachant que nous partageons tous, hommes et femmes, des vulnérabilités liées au vieillissement cérébral.

Cette approche, encore marginale, rallie un nombre croissant d’acteurs, en particulier celles et ceux qui sont directement au contact des personnes âgées présentant ces vulnérabilités, à savoir les aides-soignants, infirmiers, psychologues, gériatres, médecins généralistes ou assistants sociaux. À titre d’exemple, un centre de jour pour les personnes « connaissant un vieillissement cognitif difficile » a vu le jour durant l’été 2016 en Belgique, à l’initiative de deux psychologues. Installée à la campagne dans une ancienne ferme et défendant une approche « démédicalisée », la structure, baptisée Un nouveau chapitre, a reçu le soutien de la Wallonie.

Une telle approche devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et encourager la mise en place de structures dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts, se sentir utiles et maintenir des relations avec les autres générations.

Projet de peinture intergénérationnel mené par l’association Viva dans un établissement pour personnes âgées (EHPAD) à Genève (Suisse) en 2012.
Association Viva, CC BY

En d’autres termes, il s’agit de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants. La démarche consiste à amener l’ensemble des citoyens à considérer que, même en présence de telles difficultés, une personne âgée garde une vitalité, une identité, un potentiel de développement et une place dans la communauté.

Avoir des buts dans la vie diminue le risque de déclin cognitif

Dès lors, il importe de réfléchir collectivement aux moyens et actions à mettre en œuvre pour prendre en compte le point de vue des aînés et leurs souhaits, de leur donner plus de responsabilités dans les décisions, de faciliter leur participation citoyenne, de briser leur isolement. La pratique d’activités stimulantes et variées permet de différer la survenue d’un vieillissement cérébral problématique, comme le montre cette étude publiée en 2016. De même, le fait d’avoir des buts dans la vie et de donner une signification à son existence est associé à un risque moindre de déclin cognitif et de handicap.

« Garder la santé », selon l’expression consacrée, c’est pouvoir s’investir dans des activités qui permettent d’interagir avec d’autres, notamment plus jeunes, de prendre du plaisir et de garder un rôle social valorisant. Ce travail de réflexion devrait tout particulièrement être mené au sein des collectivités locales, en lien direct avec les administrations des communes, les services d’aide aux personnes, les associations, les structures d’hébergement à long terme, et les médecins de famille.

Le recours aux activités artistiques contribue aussi à cet objectif. Pour reprendre l’expression du neurologue américain Daniel C. Potts, la créativité artistique peut être envisagée comme « l’art de préserver la qualité d’être humain ou l’identité personnelle ».

Un exemple concret de cette approche est offert par l’association Viva (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement) qui promeut le « bien-vieillir » dans la commune de Lancy, en Suisse. L’activité physique, les découvertes artistiques ou les projets intergénérationnels y sont ainsi rendus accessibles à des personnes âgées avec troubles cognitifs.

Ateliers d’écriture de poèmes, sorties au théâtre…

Plusieurs études sont consacrées à la participation à des activités artistiques de personnes âgées présentant des troubles cognitifs, soit comme acteurs, soit comme spectateurs. Elles suggèrent que l’engagement dans des chorales, ateliers d’écriture de poèmes, lectures en groupe, visites de musée, pièces ou sorties au théâtre, améliore sensiblement leur bien-être, leur confiance en eux-mêmes, leur enthousiasme et leur sentiment de plaisir. Il contribue aussi à renforcer les contacts sociaux, à réduire l’anxiété, les idées dépressives ou la survenue de comportements agressifs.

Cet engagement est d’autant plus justifié que, même avec d’importantes difficultés de mémoire, ces personnes âgées gardent leurs capacités de jugement et leurs préférences esthétiques.

Visite commentée de la galerie d’art contemporain la Ferme de la Chapelle, à Lancy en Suisse, en 2015, à l’initiative de l’association Viva.
Association Viva, CC BY

Comment mieux intégrer les activités artistiques dans la communauté de vie des personnes âgées, qu’il s’agisse de leur commune ou de leur structure d’hébergement ? Les projets d’Arts communautaires engagés (ACE) en fournissent un bon exemple. Le principe général, né dans les années 1960, consiste à fournir un environnement dans lequel des artistes professionnels collaborent avec des personnes – souvent marginalisées ou stigmatisées, ici les aînés. Ils créent ensemble une œuvre ou un spectacle sur un thème ayant du sens pour la communauté de vie des participants. L’idée est que cette œuvre ou ce spectacle soit finalement présenté au public, pour que la communauté dans son ensemble puisse l’apprécier – en même temps que ses créateurs. Ainsi, ce sont aussi bien les capacités de l’artiste que les connaissances individuelles, la créativité et les expériences de vie des participants qui sont valorisées. De fait, des études ont montré que la réalisation de projets d’ACE peut jouer un rôle important dans l’intégration sociale et le soutien identitaire des personnes âgées.

Résister à la perte d’identité

La dimension identitaire apparaît essentielle. Les activités artistiques – et de loisirs en général – offrent aux personnes âgées, quels que soient leurs déficits cognitifs, un espace de résistance à la perte d’identité, de pouvoir et d’indépendance. Ces activités représentent un lieu idéal pour affirmer les aspects de leur identité auxquels elles tiennent particulièrement et même la développer dans de nouvelles dimensions.

En effet, l’implication dans ces tâches apporte une diversion par rapport aux événements de vie négatifs. Elle amène à une attitude plus optimiste concernant le futur. Ces activités permettent aussi d’avoir un sentiment de continuité personnelle et d’élaborer un récit de vie qui relie passé, présent et futur. Elles contribuent aussi au sentiment d’avoir des buts dans la vie, et à celui de les avoir atteints – ce qui renforce aussi la confiance en soi, la fierté et la valorisation personnelle. Autant de facteurs au moins aussi importants pour la santé que la tension artérielle.

Martial Van der Linden, Professeur de neuropsychologie et psychopathologie, Université de Genève et Anne-Claude Juillerat Van der Linden, Docteure en psychologie, chargée de cours, Université de Genève

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

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